La Sorcière des Eaux
 

Qui se permet de m’épier ?



— Le visage d'un homme est le livre de loch de ses pensées, et celles du capitaine Ludlow semblent agréables ? dit brusquement une voix d'homme pendant que le jeune marin se livrait à la pantomime ci-dessus décrite.


— Qui se permet de m’épier ? dit-il fièrement.


Et il trouva en face de lui l'audacieux matelot qui l'avait bravé le matin même. Maîtrisant son indignation. le capitaine essaya d'imiter le sang-froid de cet étrange personnage, qui, malgré sa condition inférieure, avait quelque chose de réellement imposant.


Il y a, reprit-il, du courage à affronter ses ennemis. Mais il y a de la témérité à provoquer la colère de ses amis.


— Je suis de votre avis, répondit l'homme à la ceinture de cachemire. Mais je ne me crois pas trop téméraire. Le capitaine Ludlow à bord de la Coquette, et protégé par le feu de ses canons, n’est pas le même que le capitaine Ludlow sur une falaise, sans autre défense que ses bras et son courage.


Dans le premier cas, il ressemble à un mât soutenu par des étais, des contre-étais, des bras de vergue et des manoeuvres dormantes. Dans le second cas, c'est le mât seul et nu, ne devant de porter la tête haute qu'à la solidité de ses matériaux. Au reste vous êtes homme à vous passer d'appui quand même les vents souffleraient plus fort que ceux qui gonflent en ce moment les voiles du bac.


À ces mots, Ludlow oublia tout pour ne songer qu’à la Periagua, qui emportait Alida et ses compagnons dans la vaste baie de Rariton.


— En effet, dil-il, ce bateau commence à sentir la violence du vent. Quelle opinion avez-vous du temps, mon camarade ?


— On ne peut juger des femmes et des vents que lorsqu’ils se mettent en mouvement, répondit l'homme au châle. Mais quiconque a consulté aujourd'hui les deux aurait dû préférer le vaisseau la Coquette à ce bac qui danse sur les flots. Et pourtant, la soie flottante que nous voyons dans le bateau nous apprend qu'il y a une personne qui a pensé autrement.


— Vous êtes un homme d'une singulière intelligence, dit Ludlow, et même d’une singulière…


— Effronterie ! reprit l'autre voyant hésiter le commandant. Que l'officier de la reine s'explique franchement. Je ne suis guère qu’un gabier, ou tout au plus un quartier-maître.


— Je ne veux rien vous dire de désagréable, mais je trouve surprenant que vous sachiez que j'ai proposé de conduire cette dame et ses amis à la résidence de l'alderman van Beverout.


— Cela n'a rien de surprenant, puisque j'étais assez près pour entendre et que j'ai même vu plus tard votre physionomie changer comme la conscience d'un député, à l'aspect d'un bout de papier.


— Dont vous ignorez le contenu.


— J'ai pensé qu'il renfermait les ordres secrets d’une dame qui est trop coquette elle-même pour vouloir monter à bord d'un vaisseau du même nom.


— Par le ciel, murmura Ludlow en faisant plusieurs pas sous l'ombre de l'arbre, cet homme a raison dans son inexplicable impudence. Le langage et les actions de la jeune fille sont en contradiction, et je me laisse bafouer par elle, comme un aspirant tout frais sorti du giron maternel. Écoutez, maître... quel est votre nom ?


— Thomas Tiller


— Et bien, maître Tiller, un marin tel que vous devrait éprouver le désir de servir la reine.


— Rien ne me serait certes plus agréable que d’assister une dame dans l’embarras. Mais j'ai des occupations personnelles d’ailleurs. Si elle m'appelait du côté de votre bâtiment, je n’hésiterais peut-être pas à y monter, quoique peu disposé à m’y laisser entraîner par force. Au reste, j'ai la faculté de choisir. Car, si j'en crois mes yeux, ce point blanc qui brille au large est une voile.


— C'est possible, reprit Ludlow après avoir examiné l’horizon. On a des raisons pour attendre sur les côtes un navire qu’il sera bon de surveiller, et peut-être est-ce lui qui arrive.


— Serait-ce donc un pirate ? demanda Tiller avec curiosité.


— À peu près, répliqua le capitaine. C'est au moins un contrebandier. Puisque vous avez navigué si longtemps sur l’Océan, la réputation de l'Écumeur de mer doit vous être connue.


— Non en vérité, dit l’homme au châle. Je viens depuis peu d’une mer lointaine, où l'on m'a raconté beaucoup d'histoires de boucaniers. Mais je n'avais pas entendu le nom de ce corsaire avant de causer avec le maître du bac. Votre Honneur daignera t-il nous donner quelques renseignements au sujet de ce commerçant illégal ?


...

La Sorcière des Eaux


ou L’Écumeur des mers


De la contrebande par bateau, provenant d’Italie, de France ou d’Espagne.


Maintenant sur les côtes de  l’Atlantique près de New York.


À une époque où le commerce en était à ses débuts, et que la reine Anne d’Angleterre ne permettait que les produits provenant d’Angleterre.


Ce qui vous attend ?


Batailles navales, enjeux politiques, étrangers-contrebandiers et romance, bien sûr.


Fénimore Cooper est aussi l’auteur du Dernier des Mohicans, La Prairie, L’Ontario, L’Espion et bien d’autres.