Peaux-Rouges Peaux-Blanches
 

Des hors-la-loi en coureurs des bois, sur les îles du lac Supérieur qui volent, tuent et ravagent tout ce qu’ils peuvent.


Un ingénieur français captif d’eux. Une belle jeune Indienne.


Auriez-vous aimé vivre à cette époque ?


Suivez leurs aventures, vous ne le regretterez pas !

Sommaire



1. Les douze Apôtres

2. Les îles des Douze Apôtres

3. Le Sault-Sainte-Marie

4. L’ingénieur français

5. Jacot Godailleur

6. Le départ

7. À bord de la Mouette

8. L’oeuvre des apôtres

9. Les captifs

10. La cène des Apôtres

11. Des chansons pour égayer

12. Le chant de Pontiac, l’ancêtre

13. Le blessé

14. Le Maître

15. La fuite et les merveilles du lac Supérieur

16. La Portaille au lac Supérieur

17. Les grands sables

18. Une lettre à son ami

19. Les Apôtres et les Indiens

20. La loi de Lynch

21. Pauvre Indienne, sa lettre

22. Les mémoires de famille



5. Jacot Godailleur



C'était un étrange personnage que celui qui venait d'articuler cette apostrophe.


Imaginez, sur un corps maigre, sec comme un échalas, une tête piriforme, dont le profile figure une serpe. Des cheveux jaunes taillés en brosse. Des yeux à fleur de tête, surmontés de sourcils jaunes. Un nez d'une longueur phénoménale, et avec cela si pincé que les narines sont imperceptibles.


Des moustaches jaunes mesurant quatre pouces, raides, coupant la face comme les bras d'une croix. Une bouche large à faire envie à un crocodile. Un menton qui semble avoir hâte de rattraper le cou, lequel, effilé, droit, guindé, a assez l'aspect, en y ajoutant le crâne, d'un point d'exclamation tourné en sens inverse.


Imaginez cela, et vous aurez une idée approximative du portrait de maître Jacot Godailleur. Ah ! n'oublions pas : un visage osseux comme celui d'un Indien, gravelé, couturé, brouillé de petite-vérole.


Le corps était à l'avenant. Les omoplates formaient angle droit avec le col, angle droit avec les bras. Pour le buste, sa petitesse surprenait. Mais, en revanche, quelles jambes ! Quels pieds ! Ils rappelaient à s'y méprendre ceux de feu don Quichotte.


À vrai dire, Jacot Godailleur n'avait pas que ce trait de ressemblance avec le brave chevalier de la Manche.


En l'examinant de près, soit au physique, soit au moral, on trouvait, entre lui et le héros de Cervantes, un air de famille qui faisait sincèrement douter que le premier eût été jamais le produit de l'imagination du second.


Comme les physiologistes prouvent — ils l’affirment, — que les petits-fils empruntent généralement leur mine aux ancêtres, je suis assuré que le créateur de don Quichotte s'était, pour sa création, inspiré de l'un des aïeux de Jacot Godailleur.


Mais nous n'en sommes pas encore au plus pittoresque de notre description.


Une vingtaine de gamins, peaux rouges, peaux jaunes, peaux blanches, avaient suspendu leur jeu de la bag-gat-iwag* ou de la crosse, pour suivre Jacot par derrière.


(* Sorte de jeu qui se joue avec des bâtons et une boule et que, dans certaines parties de la France, les enfants nomment la truote.)


Et ils paraissaient ébahis ! 


Au milieu d'eux s'étaient même timidement glissées quelques femmes.


Et elles paraissaient stupéfaites.


Trois on quatre hommes s'approchaient encore ! Et eux aussi paraissaient étonnés.


Le sujet de cet intérêt général, c'était Jacot. Oui, Jacot Godailleur, qui jamais, oh non, jamais n'avait été l'objet d'une pareille ovation.


Mais je dis Jacot Godailleur. Affaire de politesse. La vérité veut qu'on rende à Cesar ce qui appartient Cesar.


Donc, il faut avouer de bonne foi que c'était à l'habit, non à l'homme, — quelle que fût d'ailleurs la distinction naturelle de celui-ci, — que les habitants du Sault-Sainte-Marie rendaient cet hommage de curiosité.


Un habit bien ordinaire pourtant :  un uniforme de dragon.


Oui, un simple uniforme de dragon, petite tenue encore, s'il vous plaît.


Bonnet de police sur le coin de l'oreille, col de crin, veste d'écurie, pantalon de cheval, grandes bottes éperonnées.


Nous coudoyons cela tous les jours, sans y faire plus attention qu'à une blouse ou à un paletot.


Mais, autres pays, autres costumes ! 


On peut déclarer hardiment que jamais pareil équipement n'avait brillé au soleil du Sault-Sainte-Marie.


Là, tout le monde en était aussi émerveillé que nous le serions si un Peau-Rouge passait près de nous dans sa robe de buffle. Le pantalon de cheval, rouge d'un côté, noir, ciré, luisant de l'autre, faisait surtout l'admiration publique.


J'ajouterai qu'il accumulait dans l'esprit des admirateurs, des sommes d'envie rien moins que favorables à la sécurité future du vêtement et même à la santé de son honorable propriétaire.


Cependant, Jacot Godailleur, la main droite légèrement infléchie et la paume en avant, à la hauteur de son bonnet de police, le bras gauche collé le long de la hanche, le petit doigt de la main sur la couture du pantalon, les jambes rapprochées, le corps droit, immobile, répétait, en faisant son salut militaire :


— Ah ! par exemple vous voilà dans un joli état, mar’chef. J'en aurai des maux pour astiquer votre fourniment.


Pour bien rendre l'intonation qu'il donnait à son « maux », il faudrait renforcer ce terme de trois accents circonflexes.


Pourquoi la langue écrite est-elle si pauvre, la langue parlée si riche ! 


En entendant cette interjection, l'ingénieur se retourna.


Mais l'Indien ne bougea pas de place.


— Tiens, c'est toi, Jacot ! dit Adrien.


— Jacot Godailleur, pour vous servir, mar'chef.


Et le dragon fit trois pas en avant avec toute la précision réglementaire.


— Serait-ce, dit-il, un effet de votre bonté, mar'chef, de me permettre, mar'chef…


— Allons, explique-toi ! 


— En deux mots, mar'chef, je désirerais, mar'chef, si ce n'était la crainte, mar'chef…


— Tu veux savoir pourquoi je suis mouillé ?


— Tout juste, mar'chef. On voit bien que vous êtes allé aux écoles. Vous devinez tout, vous, mar'chef ! 


— C'est, reprit l'ingénieur que j'ai aidé cet Indien à se tirer de la rivière où son bateau avait chaviré.


— Ce particulier-là, fit Jacot avec une moue méprisante et en étirant ses moustaches pour en augmenter la rigidité.


— Oui, ce particulier-là ! répondit l'ingénieur d'un ton souriant.


Et s'adressant au Peau-Rouge


— Voici encore un Français ! lui dit-il.


— Oui, Français, mille carabines ! corrobora Jacot Godailleur.


Le Bon-Chien se tourna alors vers le dragon.


— Il porte, dit-il lentement et d'un air dédaigneux, l'habit des Anglais.


— Anglais, moi ! moi, Jacot Godailleur, un Anglais ! Qui est-ce qui vous a dit ça ?  proféra le dragon d'une voix menaçante.


— Pourquoi ce casque rouge ?  reprit l'Indien.


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