LA TRAITE DES BLANCHE Le chemin de Buenos Aires

 

Un journaliste d’enquête, l’auteur Albert Londres, s’incorpore au Milieu pour mieux comprendre tout ce qui s’y passe.


Comment peuvent-ils réussir une telle entreprise ?


La police est-ellle impliquée dans ce traffic ?


Voyez ce qu’il en est.


Vous apprécierez très certainement !


Publié à l’origine chez Albin Michel à Paris en 1927.

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Sommaire



Où je trouve le chemin de Buenos Aires

Les passagers de Bilbao

Arrivée

À la recherche des hommes du milieu

Vacabana dit le Maure

Victor le victorieux commence son récit

Victor raconte la suite

Victor le Victorieux achève son récit

Franchuchas

La principauté des affranchis

Moune

Casa Francesa

Le métier de maquereau

Où je fais un joli coco en voulant faire l’apôtre

Où la police barbote le barbeau

Polaks

La Boca

Au Campo

Une victoire

Deux faux poids

Procès-verbaux

N'y en aurait-il qu’une ?

Monsieur le Pasteur

Propos amers d’un ancien lors d'une soirée intime

L’attente

Le Créolo

La responsabilité est sur nous




Le métier de maquereau



Je gagnais Suipacha, septième rue parallèle.


J'avais subitement besoin de précision. C’était un impérieux besoin. En effet, mon cerveau était transformé en machine à multiplier.


Mes multiplications devenaient vertigineuses. Je multipliais les pesos par des francs, les semaines par des mois, les mois par des années.


J'obtenais un total, ce total ne constituait que le gain d'une femme. Je multipliais une femme par deux femmes, par trois femmes, par quatre femmes !


J'atteignais à des sommes qui étaient des sommets. J'étais ébloui. Il est mauvais d'être ébloui. On ne voit pas devant soi. On en arrive fatalement à cogner son nez contre l'un de ces lampadaires que l'on éclaire au gaz.


Et puis quand un cerveau se met à multiplier, on ne sait jusqu'où le mènera l'art de la multiplication. Il faut l'arrêter dans sa marche à la lune. C'est pourquoi je courais du côté de Suipacha.


Là, j'y trouvai mes amis jouant aux cartes.


Il y en avait de nouveaux. On me les présenta.


Victor était là. Cicéron aussi. Un nommé Jean-Philippe qui, depuis deux jours, guide volontaire, me rendait d'incalculables services. Jean le Barman avait fait un saut de Montevideo, justement pour me voir.


Ah ! je n'avais plus à chercher mon pain au milieu du désert de l'Indifférence ! J'étais dans le pétrin jusqu'aux épaules et je brassais la pâte avec passion !


J'enlevai Victor, Cicéron, le Barman et Jean-Philippe.


Plutôt c'est Victor qui nous enleva jusqu'à son appartement de Maïpu.


— Attendez ! leur dis-je, nous allons procéder avec ordre. Avant de m'avancer plus avant, je dois reconnaître ce qui m'entoure. Combien avez-vous de femmes, Victor ?


— Trois !


— Trois aussi, fit Cicéron.


La barman et Jean-Philippe n'en avaient chacun que deux.


— Tout à l'heure j'ai fait la connaissance de mademoiselle Opale. Elle m'a confié qu'elle avait allumé 402 fois la lampe, en une semaine, dans sa casita.


— Opale ? fit Cicéron, à qui ce lot appartient-il ?


— Ah ! dis-je, pas à moi, hélas !


— Je crois bien que c'est à Adrien, fit Victor.


— À cinq pesos l'allumette et à cinquante-deux semaines par an, Adrien n'eût-il que mademoiselle Opale, gagne donc 1.489.510 francs en douze mois !


— Et après ? firent mes compagnons.


Je les regardai comme un lapin regarde un puissant phare d'automobile ! Ou comme une gazelle regarderait un tigre qui fui apporterait une tasse de lait.


Ou comme une colombe déjà plumée, lardée et salée regarderait de ses yeux vides les membres de la Société des Nations qui continueraient de l'appeler un bel oiseau !


Ils m'offrirent un verre de porto pour me remonter.


— Allez-vous mieux ? fit Jean-Philippe, qui était rempli de prévenances.


Je tendis mon verre une nouvelle fois. Ils l'honorèrent. Je bus. J'allai mieux.


— Je ne veux pas de mal à vos multiplications, fit Victor. Elles doivent être justes, mais elles n'ont aucun rapport avec la réalité. Du train où vous allez, j'aurais sept ou huit millions. C'est une plaisanterie.


Nos affaires sont comme toutes les affaires : capricieuses.


Je viens de vous répondre : j'ai trois femmes. C'est exact pour le moment. Demain je n'en aurai peut-être que deux, peut-être plus qu'une.


Nous avons nos risques professionnels.


En dehors de la femme que nous appelons la femme de base... et que plus tard, la folle jeunesse passée, nous épouserons, le reste est un peu de l'équilibrisme.


Des clients nous les enlèvent. Parfois c'est la maladie. Il y a les mois d’hôpital. Quatre cent deux jetons en une semaine ! Ce n'est matériellement pas impossible. Toutefois, c’est du travail exceptionnel !


C'est une vitesse de circuit. Une femme peut-être qui s'est piquée d’honneur. La moyenne commerciale est beaucoup moins brillante.


Je ne parle pas de la Boca, où certains jours de rush, le mercure fait éclater le thermomètre.


Mais, en général, quand une femme de casita délace de trente à trente-cinq fois sa sandale dans une journée, on peut lui rendre hommage, c'est une bonne travailleuse. Voilà la recette. Maintenant et les dépenses ?

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