MOESS-2

 

L’Arbre de Vérité       Normand Jubinville

Que feriez-vous si on voulait vous empêcher de mener votre grossesse à terme ?


Cette jeune fille décide de s'enfuir avec son jeune fiancé dans un endroit où il est absolument défendu d'aller.


Auriez-vous défier, vous aussi, l'autorité et la nature hostile de cette planète ?


Seront-ils acceptés par ce peuple inconnu ?


Qu'advientra-t-il de ces jeunes ?




Ce que l’on en pense

2. Examen


Nedye et Tyad se retrouvèrent seuls.


— Elle ne m’a pas semblé agressive, dit Nedye. Je l’ai même trouvée plutôt sympathique, et toi ?


— J’ai eu la même impression. Mais j’ai senti que notre présence l’embarrassait, comme si elle avait peur de nous. D’après moi, sans ta grossesse, elle nous aurait laissés dans le Razad.


— Pourquoi nous a-t-elle laissés seuls ici ?


— Elle a dit qu’elle reviendrait dans trois jours, ajouta Tyad. Est-ce bien ce que tu as compris aussi ?


— Oui, mais que va-t-elle faire pendant ces trois jours ? Chercher du secours ? Dans ce cas, je ne vois pas pourquoi. Nous ne sommes pas en danger et nous ne sommes pas dangereux non plus.


— Elle reviendra peut-être avec des gardes, semblables à nos prieurs Remza, qui nous emmèneront en captivité quelque part.


— Ne parle pas de malheur, interrompit Nedye. Tu me donnes envie de rebrousser chemin.


— Nous ne pouvons pas faire ça, s’opposa Tyad. De toute façon, nous sommes maintenant trop avancés pour reculer. Il ne nous reste qu’à espérer le meilleur et à faire confiance à cette dame Eïla. Nous saurons dans trois jours…


— Tu as raison, acquiesça la jeune femme. Soyons positifs. Est-ce que tu as faim ?


Ils se mirent tous les deux à fouiller dans leurs sacs et à choisir la nourriture qu’ils mangeraient en premier, gardant en tête qu’ils devaient se rationner si leur bienfaitrice ne revenait pas.


Trois jours d’attente dans l’incertitude est une situation difficile à affronter. Aussi, ils essayèrent d’occuper leurs esprits. Nedye fit lentement l’inventaire de ce que contenait l’abri alors que Tyad sortit inspecter les alentours. Elle y trouva un seul matelas, très mince, mais assez large pour elle et son fiancé.


Ensuite, un appareil qui ressemblait à un reproducteur7. Elle n’osa pas essayer de le faire fonctionner. Un fil le reliait à une boite rectangulaire. Elle supposa que c’était une source d’énergie. Deux bonbonnes, l’une verte et l’autre rouge étaient branchées à cette boite bizarre. Elle entendit un léger sifflement provenant de la boite. Elle réalisa au même moment que l’air dans l’abri était beaucoup plus riche en oxygène que celle de l’extérieur. Elle se dit que ce système devait contrôler la qualité de l’air. D’ailleurs, elle se souvint qu’Eïla avait enlevé son masque en entrant dans l’abri. Elle appela Tyad.


— Regarde ce que j’ai découvert, lui dit-elle en pointant la boite. Je crois que cet appareil maintient le niveau d’oxygène. Il faudra penser à bien refermer l’ouverture.


— Il y a deux bonbonnes, observa Tyad, l’une pourrait contenir de l’air comprimé, mais l’autre ?


Il examina minutieusement la boite sans y toucher. Il constata qu’il n’y avait pas grand-chose à voir, hormis un écran qui affichait des nombres auxquels il ne comprenait rien.


— Cet appareil semble fonctionner automatiquement, conclut-il. Il est plus prudent de ne pas y toucher.


Pour passer le temps, ils s’inventèrent des jeux, recherchèrent de belles pierres le long du ruisseau et évidemment firent l’amour plusieurs fois. Tyad avait envie d’explorer davantage les rives du ruisseau, mais hésitait à s’éloigner de l’abri. Le troisième jour, ils entendirent un bruit de cailloux déplacés provenant de l’amont du ruisseau. Ils se précipitèrent dans l’abri. Après quelques instants, Eïla entra en compagnie d’une autre personne.


— Bonjour, lança-t-elle en enlevant son masque respiratoire. Je me nomme Keora et je suis médecin.


— Vous parlez notre langue ! s’exclama aussitôt Nedye.


La dame, de haute stature, lui sourit :


— Je suis originaire du peuple voffa, comme vous. Je vis maintenant avec les awas.


— Vous vivez avec les kunkuns ? rétorqua Tyad.


La dame parut agacée par la question de Tyad.


— Je sais que notre peuple les appelle ainsi, mais dans la langue awa, c’est un terme impoli. Kunkun, veut dire « va-t-en ! » avec mépris. C'est ce que certains awas disent quand ils rencontrent un voffa dans le Razad. Je vous suggère de les appeler les awas, c’est le nom qu’ils se donnent.


Les deux jeunes acquiescèrent d’un mouvement de tête.


— Mais il y a plus urgent pour le moment, continua-t-elle. Je suis venu pour vérifier votre état de santé. Me permettez-vous de vous examiner, en commençant par la jeune dame ?


— Nedye, je me nomme Nedye et mon fiancé Tyad, fit-elle en le désignant. Je suis d’accord pour commencer.


Eïla et Tyad sortirent de l’abri. Ne parlant pas la même langue, ils n’avaient rien à se dire. Pourtant Tyad, qui s’intéressait au véhicule, aurait eu tellement de questions à lui poser. Puis ce fut au tour de Tyad de passer l’examen. Lorsqu’il ressortit, Eïla entra à son tour. Keora lui fit un compte-rendu :


— Ils ont l’air d’être en très bonne santé. La jeune fille est effectivement enceinte d’environ quatre-vingt-dix jours. Cela confirme ce qu’ils t’ont dit. Il y a cependant un point qui me chicote et que je veux mettre au clair avec eux.


Le médecin leur fit signe de revenir dans l’abri. Assis par terre, elle leur répéta ce qu’elle venait de dire à Eïla.


— Nedye, tu me dis que Tyad est le père de cet enfant. Êtes-vous mariés selon la tradition du peuple des bulles ?


Les deux jeunes rougirent et durent admettre qu’ils n’étaient que fiancés.


— Avez-vous passé l’étape de l’initiation ?


— Non, répondit Tyad. Nous sommes de veda8 quarante, nous étions prêts à vivre l’initiation et à nous marier immédiatement après. C’était notre plus cher désir. Mais le Conseil du Premier Cercle9 a voulu retarder notre cérémonie. Alors, convaincus que les prieurs ne laisseraient pas notre enfant naitre, nous nous sommes enfuis. Nous espérions trouver refuge auprès de votre peuple. Nous sommes forts, nous pouvons aider, travailler pour gagner notre nourriture. Nous vous en supplions, ne nous renvoyez pas dans les bulles !


Keora traduisit la requête de Tyad à l’intention d’Eïla. Elle ajouta :


— Leur corps ne porte pas les cicatrices de l’initiation. Je crois qu’ils disent vrai.


— Cicatrices ? demanda Eïla surprise.


— Je t’expliquerai, répondit laconiquement Keora. Il m’est évident que si nous retournons ces deux jeunes à leur peuple, leur enfant ne pourra naitre et eux-mêmes seront ostracisés pour la vie. Dans cette culture, on ne désobéit pas impunément aux préceptes des prieurs. Nous devons les ramener avec nous.


— Ce n’est pas conforme à nos règles…


— Tu as raison, mais il y a des exceptions, j’en suis un exemple. Je prends sur moi de les accueillir et de faire accepter leur présence par le Conseil de la Cité.


Tyad, voyant que les deux femmes discutaient et argumentaient, sortit de ses bagages le gros sac de cristaux de quartz qu’il avait proposé en échange sur le rocher plat.


— Pourquoi Eïla a-t-elle refusé notre offre ? demanda-t-il.


Keora regarda dans le sac et ses yeux s’agrandirent à la vue de tant de pierres précieuses. Du regard elle questionna Eïla.


— C’était trop. C’était tout simplement trop. Je n’avais rien à offrir en échange qui approchait de cette valeur.


Keora traduisit la réponse de son amie. Ce fut Nedye qui répondit :


— Ce n’est pas trop donner pour notre liberté, notre enfant et notre vie !


Cette phrase servit d’argument final.


— Portez vos bagages dans le six-roues. Si nous partons vite, nous pouvons arriver chez moi avant la nuit.


Nedye et Tyad ne se firent pas prier.


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