Au large de l’Écueil

 

Au large de l’Écueil

Hector Bernier


Une agréable découverte de cet auteur très peu connu.

Il nous permet de voir notre passé de Canadiens-Français, incluant la religion trop présente.

Vous découvrirez aussi la très belle ville de Québec dans toute sa magnificence.

Un roman d’amour ?

À vous de le découvrir.

Jules revient parmi les siens



Augustin Hébert était un type superbe de Canadien-Français. On le remarquait toujours dans la foule qu'il dominait des six pieds de sa taille. Il marchait d'une grande allure militaire. Les cheveux noirs semés de fils gris encadraient de noblesse un visage énergique, un peu hautain dans sa pâleur.


Son regard ne mentait jamais, allait droit à l'adversaire. Le dessin des lèvres, sous la moustache brune, était ferme et précis. Il fallait l'entendre, de sa belle voix de clairon sonnant la charge, évoquer les souvenirs épiques de l'histoire de sa race. Il avait, en effet, le culte d'un passé tragique.


Il ne pouvait le rappeler, sans qu'il se transfigurât, et le sang qui lui brûlait, alors les veines était, celui de l'immortel Hébert, le premier colon qui ait cru au sol canadien.


Il eut, fallu rouler sur son beau corps d'athlète avant de lui arracher un seul des ouvrages canadiens qui formaient sa collection sainte. Le spectacle était bien touchant de ce colosse maniant, avec des précautions infinies, les manuscrits fragiles et les relisant dans le sanctuaire où nul ne les avait jamais profanés.


C'est là que l'industriel patriote, au milieu des chers livres, avait connu la vraie douceur de vivre. Là qu'aux retours du Premier de l'An, Jules courbait son front grave et que Jeanne inclinait ses boucles blondes sous le bénédiction pieuse et traditionnelle du père. Là que celui-ci avait infusé à son fils l'amour des choses canadiennes.


Là que, dans le demi-jour de la lampe ancienne, sa femme venait lui sourire et que, dans ses bras de géant, sa fille venait nicher sa tête menue. Là que Jules, au jour de son départ, avait regardé longuement les deux femmes en pleurs sur sa poitrine afin d'en rester dignes. Là qu'avant de laisser, pour se rendre à la tâche quotidienne, la maison qu'il habitait rue des Remparts, Augustin ne manquait jamais de contempler le Saint-Laurent.


Il avait vu tous les caprices de la lumière sur le fleuve et ne se lassait pas de les revoir. Il connaissait la succession des feux de l'aurore sur l'onde au repos, la magie rose du couchant sur le flot du soir, les eaux cuivrées à la veille des orages, mélancoliques sous la brume, ivres de soleil le midi, lourdes sous les nuages de plomb, les vagues méchantes allant, aux jours de tempêtes, se briser sur la grève où devaient revenir parfois les héros de Montmorency.


Ses yeux parcouraient la ligne harmonieuse des Laurentides, et franchissant le Mont Saint-Anne, rejoignaient la croupe altière du Cap Tourmente, descendaient vers la côte pittoresque de Beaupré, traversaient à la ravissante île d'Orléans pour aller cueillir, enfin, sur la colline de Saint-Joseph de Lévis, la vision du village riant qui la domine.


Ce tableau grandiose, dont Madame Hébert faisait ses délices habituelles, ne l'enlevait pas à la fascination que le Bout de l'Ile paraissait avoir pour elle, cet après-midi là. Immobile à la fenêtre, on l'eût crue pétrifiée, sans le rayonnement du regard fixe. Le Laurentic allait poindre.


La mère attendait son fils. Enfin, il revenait, vivant, plus beau, sans doute. Il y avait si longtemps qu'elle n'avait entendu la voix caressante, étreint la forme chérie. Que n'avait-elle des ailes pour aller jusqu'à lui !