Vieux Doc au temps du Curé Labelle

 

La vie à l’époque de la colonisation, à Montréal puis dans les Laurentides.


Des anecdotes typiques qui vous feront voir la vie à cette époque, la vie à l’école puis celle des collégiens et leurs coups pendables.


Vous apprendrez comment se passait les évènements du point de vue d’un docteur, d’un curé, d’un juge, etc.


Vous apprécierez cette biographie, assurément !

Sommaire



Dédicace

PREMIÈRE PARTIE

Gaietés de la vie de Vieux Doc

Ma première brosse

En Guettant les Ours

Ma première brosse

L’enlèvement du vieux Michon

Le Maringouinus Magnus

Darwin chez les colons

Les deux reines

Le père Lavictoire

L’appel au mort

La vente des bancs

Commission pour l’autre monde

Monsieur l’inspecteur

Le blasphémateur

Les amours du père Léon

La rétractaction et la cataracte du père Lavictoire

Pêches d’autrefois

La baisette

SECONDE PARTIE

Confessions de Vieux Doc

Études et carabinades

Vols de cadavres

L’inoubliable bohème : Guénard et Ti-Potte le noir

L’âge d’or de ma pratique médicale

Ma vie d’homme public

Codicille à mon testament



En Guettant les Ours



Lorsqu'il y a 44 ans, le curé Labelle, le grand colonisateur, me dit en me montrant un point perdu sur la carte du Nord :


« Va-t'en là, un bel avenir t'y attend », je crus en lui.


Et je pris mes cliques et mes claques, mes fioles et mes sacs et je vins avec ma petite famille m'établir sur le bord d'un des plus beaux lacs des Laurentides, car j'étais, autant que médecin, amateur de pêche et amant de la belle et grande Nature.


Je me trouvai au milieu de colons très pauvres pour la plupart, mais l'étant plus qu’eux, je n'y fus pas dépaysé.


Le plus grand nombre ne possédaient aucune instruction. On ne pouvait les en blâmer : éloignés des églises ou plutôt des missions encore peu nombreuses, ils entendaient rarement parler de Dieu. La pénurie des écoles, à l'époque de leur enfance, les avait laissés illettrés. Mais ils avaient tous bon coeur, et les années que j'ai vécues au milieu d'eux comptent parmi les plus heureuses de ma vie.


Je décidai de me dévouer à leur éducation. Je commençai par fonder un cercle agricole dont je fus le secrétaire pendant 25 ans, avec un salaire de $0,29 par mois.


Jeunes confrères qui riez de moi et qui ne rêvez que de limousines, de gros honoraires et de riche clientèle, faites-en autant, si vous en avez le courage.


Nous étions loin des progrès d’aujourd'hui où, grâce à la vapeur, à l'électricité, à la gazoline, et aussi à la pituitrine, les enfants nous arrivent de l’autre monde en criant  : « Aie ! »


C'était le temps des chandelles de suif, des charrettes à poche, des traînes à bâtons, des vieilles rosses et des chemins périlleux. Ces pauvres petits n'étaient pas pressés de quitter les limbes pour venir habiter un pays aussi triste et aussi froid, et ils se faisaient attendre parfois des jours et des nuits.


Les colons, habitués à faire le guet dans les ténèbres avec leurs fusils pour protéger le grain et le bétail contre les ours, appelaient également "watcher" ou guetter les ours, le fait d'attendre l'arrivée de ces pauvres innocents.


Je profitais de mon séjour auprès des parturientes pour distraire et instruire le chef de famille et les voisines improvisées gardes-malades. Je leur lisais des histoires intéressantes, je leur débitais des vers que j'avais composés et d'autres que je savais par coeur. Je m'appliquais surtout à leur faire connaître l'histoire de notre pays, en leur parlant de tous les Canadiens-français qui l'ont illustré.


Une fois, j'étais à guetter les ours chez un colon du nom de Narcisse Béliveau. Nous étions assis, lui et moi, sur l'herbe, par un beau soleil d'été. Je l'avais entretenu longuement de ces braves patriotes. Narcisse, qui m'avait écouté avec beaucoup d'attention, me demanda à brûle-pourpoint :


— Docteur, Notre-Seigneur Jésus-Christ, c'était-y un canayen lui aussi ?


— Non, lui répondis-je.


— De quelle nation qu'il était ?


Narcisse m'avait raconté, deux heures auparavant, comment un juif l'avait filouté tout dernièrement, en lui vendant des habits qui étaient déjà rendus à la corde, et combien il détestait cette race. Je préférais ne pas lui dire que Jésus était d'origine hébraïque. Toutefois, je ne voulais pas passer pour un ignorant, et je finis par lui avouer avec franchise qu'il était juif.


Le colon, étonné, me regarda avec ses grands yeux blancs.Voyant que j'étais sincère, il ne put retenir un juron. « Batême ! s’écria-t-il, j'aurais jamais pensé ça de lui. » Et il s’en alla en sifflotant du côté de l'écurie.


Si j'avais cru être compris, je lui aurais rappelé la réplique d'un grand orateur chrétien, membre de la Chambre française, l'abbé Maury, je crois, qui, un jour, achevant une charge terrible contre la race hébraïque, fut interrompu par un député, un sémite irritable, qui lui cria :


« Mais votre Chef lui-même, Jésus, n'était-il pas un juif ? »


Et le prêtre de lui répondre :


« Hélas ! c'est bien vrai, mais en venant sur la terre pour sauver les hommes, Jésus, mon Maître, a consenti à subir les pires humiliations ! »



Ma première brosse



II n'est pas question d'une brosse à dents, ni d'une brosse à habits, pas même d'une brosse à plancher. Il s'agit (vaut aussi bien vous le dire tout de suite) de ma première cuite, de ma première ivresse.


Qui a pu, je vous le demande, appeler prendre une brosse le fait de s’enivrer ? Des mauvaises langues prétendent que cette expression vient de Sorel. Je ne le crois pas. Il y a bien eu autrefois dans cette ville une manufacture très prospère de tire-bouchons.


Et depuis le jour mémorable où les Sorellois sont allés tous ensemble, à la suite d'une grande retraite de tempérance, déposer leurs outils en ex-voto au pied des autels de leur temple, et qu'ils se sont mis au régime de la bière d'épinette et de l'eau si pure du Saint-Laurent, cet établissement a dû fermer ses portes, et je n'ai jamais entendu dire qu'il y ait eu là une manufacture de brosses.


D'autres calomniateurs (oh ! les langues de vipères !) insinuent que le mot est originaire de Hull. Quelle honte ! Accuser une ville si sobre et si vertueuse !


En somme, l'expression peut tout aussi bien venir de Joliette, de Saint-Jérôme, des Trois-Rivières, de la Tuque ou de la Rivière-du-Loup « qui est large partout ». Une chose sûre, c'est qu'elle est employée depuis longtemps par la majorité des Canadiens, et qu'elle a joué jadis un bien mauvais tour à certain prédicateur français.


Le bon curé d'une grosse paroisse canadienne, dont je tais le nom par discrétion, trouvait que, depuis des années, ses ouailles négligeaient leurs devoirs religieux et fréquentaient beaucoup plus les hôtels du Démon que les autels du Seigneur.


...

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