Les Anciens Canadiens

 

Les Anciens Canadiens



Êtes-vous curieux de voir comment cela se passait à cette époque, en Nouvelle-France ?


Rencontrez des personnages attachants et vivez leurs périodes heureuses et d'autres plus malheureuses.


Vous en ressortirez enrichi.


Le dernier seigneur de Saint-Jean-Port-Joli, réputé bon conteur, a écrit ce roman à l'âge de 76 ans.

Voici un extrait :


UNE INVITATION



Quelque temps après cet entretien, environ un mois avant la vacance qui avait alors lieu le quinze mai, JuIes prit le bras de son ami, et lui dit :


– Viens dans ma chambre, j’ai reçu une lettre de mon père qui te concerne.


– Qui me concerne, moi, dit l’autre tout étonné.


– D’où vient ton étonnement ? repartit d'Haberville. Crois-tu que tu n’es pas un personnage assez important pour qu’on s’occupe de toi ? On ne parle que du bel Écossais dans toute la Nouvelle France.


Les mères, craignant que tu ne mettes, bien vite, en feu les cœurs de leurs jeunes filles, – se proposent, dit-on, de présenter une requête au supérieur du collège pour que tu ne sortes dans les rues que couvert d’un voile, comme les femmes de l’Orient.


– Trève de folies, et laisse-moi continuer ma lecture.


– Mais je suis très sérieux, dit Jules.


Et entrainant son ami, il lui communiqua un passage d’une lettre de son père, le capitaine d’Haberville, ainsi conçue :


« Ce que tu m’écris de ton jeune ami, M. de Locheill, m’intéresse vivement. C’est avec le plus grand plaisir que j’octroie ta demande. Présente-lui mes civilités et prie-le de venir passer chez moi, non seulement les vacances prochaines, mais toutes les autres, pendant le séjour qu’il fera au collège.


Si cette invitation, sans cérémonie, d’un homme de mon âge, n’est pas suffisante, je lui écrirai plus formellement. Son père repose sur un champ de bataille glorieusement disputé : honneur à la tombe du vaillant soldat. Tous les guerriers sont frères ; leurs enfants doivent l'être aussi. Qu’il vienne sous mon toit, et nous le recevrons tous à bras ouverts, comme l’enfant de la maison. »


Arché était si ému de cette chaleureuse invitation, qu’il fut quelque temps sans répondre.


– Voyons, Monsieur le fier Écossais, continua son ami, nous faites-vous l’honneur d’accepter ? Ou faut-il que mon père envoie, en ambassade, son majordome José Dubé, une cornemuse en sautoir sur le dos, – comme ça se pratique, je crois, entre les chefs de clans montagnards – vous délivrer une épître dans toutes les formes ?


– Comme je ne suis plus, heureusement pour moi, dans mes montagnes d’Écosse, dit Arché en riant, nous pouvons nous passer de cette formalité. Je vais écrire, immédiatement, au capitaine d’Haberville, pour le remercier de son invitation si noble, si digne, si touchante pour moi, orphelin sur une terre étrangère.


– Alors, parlons raisonnablement, dit Jules, ne serait-ce, de ma part, que pour la nouveauté du fait. Tu me crois bien léger, bien fou, bien écervelé. J’avoue qu’il y a un peu de tout cela, ce qui ne m’empêche pas de réfléchir souvent beaucoup plus que tu ne penses. Il y a longtemps que je cherche un ami, un ami sincère, un ami au cœur noble et généreux ! Je t’ai observé de bien près, tu possèdes toutes ces qualités. Maintenant, Arché de Locheill, veux-tu être cet ami ?


– Certainement, mon cher Jules, car je me suis toujours senti entrainé vers toi.


– Alors, s’écria Jules en lui serrant la main avec beaucoup d’émotion, c’est à la vie et à la mort entre nous, de Locheill ! Ainsi fut scellée entre un enfant de douze ans et l’autre de quatorze, cette amitié, qui sera exposée, par la suite, à des épreuves bien cruelles.


– Voici une lettre de ma mère, dit Jules, dans laquelle il y a un mot pour toi :


« J’espère que ton ami, M. de Locheill, nous fera le plaisir d’accepter l’invitation de ton père. Nous avons tous grande hâte de faire sa connaissance. Sa chambre est prête, à côté de la tienne. Il y a dans la caisse, que José te remettra, un paquet à son adresse, qu’il me peinerait beaucoup de refuser : je pensais en le faisant à la mère qu’il a perdue. »


La caisse contenait une part égale, pour les deux enfants, de biscuits, sucreries, confitures et autres friandises.


Cette amitié, entre les deux élèves, ne fit qu’augmenter de jour en jour. Les nouveaux amis devinrent inséparables. On les appelait indifféremment, au collège, Pythias et Damon, Pylade et Oreste, Nysus et Euryale : ils finirent par se donner le nom de frères.


De Locheill, pendant tout le temps qu’il fut au collège, passait ses vacances à la campagne, chez la famille d’Haberville, qui ne semblait mettre d’autre différence, entre les deux enfants, que les attentions plus marquées qu’elle avait pour le jeune Écossais, devenu, lui aussi, le fils de la maison. Il est donc tout naturel qu’Arché, avant son départ pour l’Europe, accompagnât Jules dans la visite d’adieux qu’il allait faire à ses parents.


L’amitié des deux jeunes gens sera mise, par la suite, à des épreuves bien cruelles, lorsque le code d’honneur, que la civilisation a substitué aux sentiments plus vrais de la nature, leur dictera les devoirs inexorables d’hommes combattant sous des drapeaux ennemis.


Mais qu’importe le sombre avenir. N’auront-ils pas joui, pendant près de dix ans que durèrent leurs études, de cette amitié de l’adolescence, qui, comme l’amour des femmes, a ses chagrins passagers, ses poignantes jalousies, ses joies délirantes, ses brouilles et ses rapprochements délicieux ?

Mots clés : Soirées Canadiennes, bataille des plaines d'Abraham, manoir de Saint-Jean-Port-Joli, légende de La Corriveau, indiens d'Amérique, seigneur canadien, anglais, écossais, Philippe Aubert de Gaspé, Les Anciens Canadiens