L’inventeur compulsif

 

La Fontaine d’idées : Yves Fiset  et Franz Alberts

Presque Vrai...


Ti-Paul et son frère Sam mènent un double jeu – un peu comme deux vies parallèles – la vie de tous les jours et celle des affaires, plutôt inhabituelles et sans merci !


Ce roman est Presque Vrai. Vous risquez de revivre des moments intimes, dans la peau de l’un des personnages, à l’occasion d’une scène ou d’une autre. Vous y reconnaîtrez sans doute certaines de vos peurs, qualités et travers familiers, ou même quelques fantasmes secrets... que nul n’a encore découverts...


Des inventions Presque Vraies, de quoi rompre la routine, métamorphoser la réalité et créer un monde meilleur, mais VOUS seul pourrez discerner la distance séparant le Presque... du Vrai !


Ce livre est Presque doté d’un Vrai laboratoire expérimental vous offrant des outils inédits à ce jour, que vous serez peut-être les premiers à utiliser ! (Voir pages bleues).


L’inventeur compulsif est le premier volume d’une trilogie qui divertira ses lecteurs, et leur fera découvrir de nouveaux horizons, en leur insufflant inspiration et créativité !


Vous verrez... c’est Presque Vrai ! Deux co-écrivains (Yves Fiset et Franz Alberts) ont bâti un pont de mots entre le Canada et la France. Empruntez-le !


La Fontaine d’idées

(Yves Fiset et Franz Alberts)

En voici un aperçu :

Chapitre 1 – La tétine


 

« Apprendre par cœur ces deux définitions pour jeudi, treize mars prochain ! »


Pensez-vous sincèrement que je vais utiliser une seule de ces maudites définitions dans ma vie ? Et mon cabochard de prof le sait très bien, sans parler de ma mère qui elle, a une certitude sur le sujet ! À quoi ça sert quand on sait qu'on ne l'utilisera JAMAIS !  Jamais...

 

Je suis Paul, le frère aîné de Sam, ce bon à rien qui a volé l'attention de mes parents, ainsi que presque tout l'espace de MA chambre avec son berceau et ses millions de toutous. Trois jours après sa naissance, sortant de l'hôpital comme une victime sans défense et voilà que déjà toute la maisonnée s'en inquiète, dès qu’il pousse deux ou trois cris insignifiants. Il rote, la cavalerie accourt au galop, il pète, c’est tout le régiment qui s'alarme ! Et moi là-dedans, rien, plus rien, et ça dure depuis des années... mais la fin approche et il va payer pour tout ça. C'est tout à fait sûr !

 

La seule qualité que je lui accorde, c'est son ingéniosité ; il invente toutes sortes de choses sans arrêt, il produit des idées comme les castors construisent des barrages. Je le rangerais dans la catégorie des « inventeurs compulsifs ». Les gens autour de lui, l'aiment surtout à cause de cette aptitude, que personnellement je déteste soit dit en passant, car je me sens inférieur à lui dans ces moments-là, et je sens qu'il peut me manipuler, ce qui me répugne au plus haut degré !


Je vais avoir douze ans la semaine prochaine et Sam, lui, neuf ans la semaine d'après. J'ai l’intuition depuis mon plus jeune âge que je deviendrai riche, millionnaire, je le sens chaque jour et je le sais, mais j’ignore encore comment.


Voulez-vous quelques détails sur mon frère cadet ? Comme ça vous saurez à quoi vous en tenir. Tout d’abord, il est très facile à manipuler, c’est un naïf dans toute sa splendeur ! Il commet souvent des erreurs, il tombe souvent malade et en plus, il ne cesse de changer d’humeur, ses émotions prennent l’ascenseur, et ça monte, et ça descend. Figurez-vous que pour comble, il me rend responsable de ses problèmes en disant que c’est moi qui l’écrase et l’empêche de respirer ! Moi, son grand frère, qu’il devrait considérer comme un dieu, il me voit comme une menace écrasante qui le restreint dans son espace et sa création d’idées. Moi, son frère aîné qui ne suis presque toujours animé que des meilleures intentions du monde… sauf quand ce n’est pas le cas et qu’à l’occasion, mes intentions se transforment en un rayon malveillant dirigé directement au creux de sa tête afin de la faire exploser ! C’est vraiment occasionnel, mais c’est plus fort que moi quand ça me prend…


Sam m’obéit au doigt et à l’œil, je suis son héros de chaque jour !


Invention # 1


À l’occasion, ma mère avait la méchante habitude de garder des enfants, souvent des bébés, juste pour son plaisir, histoire de satisfaire son petit côté maternel, et pendant ce temps-là, mon frère fouinait ça et là dans la cuisine à la recherche de nouvelles créations. Voilà que depuis quelques semaines, il jouait lui-même avec un biberon ! Ou plutôt avec la tétine de la bouteille de lait pour bébé ! Cela me rendait un peu fou, de le voir ainsi passer des heures à faire tournoyer en tous sens, tétine avec bouteille, tétine sans bouteille, bouteille sans tétine.


Un beau jour, il finit par disparaître dans sa chambre, dont il ressortit quelques minutes plus tard avec une nouvelle tétine en main et son énorme sourire quasiment artificiel, qui me donne des douleurs au ventre à chaque fois qu’il l’arbore2. Il cria, triomphant :


  1. Je l’ai ! Je l’ai !


  1. Il me remit sa tétine en main, tout fier de lui, sans penser à mon mal de ventre naturellement ! Accompagnée de quelques feuilles de papier à dessin3 et incroyable !  avec le titre suivant :


« Tétine ergonomique permettant à Bébé de boire son lait avec un minimum d’absorption d’air, diminuant ainsi les coliques et les problèmes digestifs. » (voir  les Pages bleues à la fin du livre).


Je le regardai une seconde et lui demandai pourquoi cette forme aplatie et recourbée pour une tétine de bébé. Alors il m’expliqua la cause des coliques et problèmes digestifs du bébé, provenant selon lui de l’absorption d’air en même temps que de lait. Il ajouta que suite à cette modification, les problèmes en question allaient être résolus à presque quatre-vingt-dix-neuf pour cent !


Bien entendu, je ne le croyais pas, mais brusquement une idée me passa par la tête : l’ami de mon père, qui demeurait au coin de la rue, était ingénieur dans une grosse entreprise, il aimerait probablement observer de près cette tétine ?


Le lendemain, tout en marchant sur le trottoir en direction de la superbe et immense maison de Monsieur Fernand, ce fameux ami de mon père, je regardais cette tétine en essayant de me rappeler ce que mon frère Sam m’avait expliqué à son sujet : comment il avait effectué sa transformation à l’aide d’un sèche-cheveux et d’une pince pour feuilles de papier afin de presser le tout, résultant en trois fois moins de pression et une succion trois fois plus facile pour bébé. OK, il allait dire OUI !


Arrivé à la maison du coin de la rue, je vis l’ingénieur qui en sortait au même moment. Il me dit :


  1. – Salut Ti-Paul, que puis-je faire pour toi ?


  2. Sous son regard, j’étais impressionné et quasiment paralysé ! Je lui remis la tétine en disant :


  1. – J’ai inventé une nouvelle sorte de tétine qui va révolutionner le marché du bébé ! Elle est vraiment efficace. Vous devriez l’essayer et m’en donner des nouvelles sous peu.


Je débitai tous ces mots pendant qu’il entrait dans sa luxueuse voiture noire, et une fois la portière fermée, il descendit la vitre pour me dire qu’il se ferait un plaisir de regarder ça de près, et qu’il m’en donnerait des nouvelles sous peu, et la vitre remonta. Il afficha son grand sourire de voisin et d’un geste de la main me salua avec condescendance4, comme un adulte s’adressant à un petit enfant, ce qui me déplut fortement.


Un mois et trois jours plus tard : pour une fois dans ma vie, la sonnerie d’un téléphone ne m’exaspéra pas ! Quand ma mère m’appela pour me dire :


  1. – Monsieur Fernand veut te parler au téléphone.


  2. Mon cœur se mit à battre follement, et j’avais juste peur d’un « Non, ce n’est pas possible », ou quelque chose comme ça. Je pris l’appareil et répondis timidement à l’ami de mon père :


  3. – Oui, que puis-je faire pour vous ? d’un ton qui se voulait assuré, accompagné d’une légère hésitation à chaque mot, le tout sur un rythme saccadé.


Il répondit :


– Ti-Paul, peux-tu venir chez moi pour dix ou quinze minutes ? Je veux te montrer quelque chose.


– OUI ! Bien sûr, j’arrive à l’instant !


Deux secondes plus tard, j’en étais à me demander tout en courant dans la rue ce que j’allais bien pouvoir lui dire pour faire bon effet !


  1. – Bonjour Monsieur Fernand, que puis-je faire pour vous ?


  2. Sans doute était-ce la dernière phrase à dire, mais c’est la seule qui me venait à l’esprit.


  3. – Assieds-toi et regarde un peu ça, dit-il en pointant une chaise du doigt. Il me montrait un coffret de carton rouge-brun, style présentation de vente, rempli de pages recouvertes d’écritures et de dessins de tétine sur fond quadrillé, entourées de chiffres et de symboles comme les plans de maison, et un autre dessin avec un bébé et sa maman et un autre encore avec un biberon…


  1. – Ti-Paul, tu es un génie ! affirma-t-il avec conviction en me présentant une enveloppe adressée à mon nom ! Je vis sur l’enveloppe : « MERCI », avec un gros sourire à côté. Il me dit :


  2. – Ouvre-la, ouvre-la pour voir, alors je l’ouvris et WOW ! J’étais riche… non, pas encore riche riche… mais au moins riche ! Il y avait plus de billets de banque que je n’en avais jamais touché, en un seul paquet et tous à moi ! 500 dollars en billets de vingt, WOW !


  3. – Je te remercie, et si tu as n’importe quelle autre invention quelle qu’elle soit, viens me voir et on s’arrangera ! Merci, et n’oublie pas de dire tout ça à tes parents !


  4. – OUI OUI ! Comptez sur moi, ils le sauront dès que j’arrive à la maison… et cher voisin, merci et bonne journée à vous et à toute votre famille (comme disait toujours mon père).


  5. J’étais déjà au milieu de la rue alors que je lui lançai ces derniers mots, peut-être trop loin pour qu’il me comprenne, mais il devait certainement sentir mon intention.


Sur le chemin du retour, les pensées se bousculaient à toute vitesse dans ma tête.


« Premièrement – mes parents ne doivent rien savoir de ce projet.


Deuxièmement – mon frère doit avoir sa part, mais pas trop pour ne pas provoquer de soupçons, dix pour cent serait suffisant ? Non, cinq pour cent serait mieux… OUI, il ne mérite que cinq pour cent, vingt dollars de Monsieur Fernand et cinq dollars en vingt-cinq sous de mon petit cochon-tirelire.


Troisièmement – je prépare mon prochain plan pour une autre invention… Mes inventions… C’est génial ! Je suis un génie qu’il m’a dit ! Un génie ! »




Chapitre 2 – Press Fit Toys5



Ma mère, après que Sam ait laissé échapper un billet de vingt dollars de sa poche, commençait à suspecter une fraude ou un mauvais tour de sa part, ou de la mienne.


C’est là que je pris la parole devant Sam et maman, pour tenter d’expliquer que ce fameux vingt dollars, tombé de ses poches provenait en fait de moi, qui le lui avais donné pour aller chercher : un DVD, du chocolat et des chips afin de passer un bon moment ensemble ce soir !


Je ne sais pas pourquoi, mais je sentais qu’elle sentait que ça sonnait faux. Et sous son regard suspicieux, je ressentis une boule dans le haut de mon estomac me serrer, me brûler comme une fine et longue lame de chirurgien… me transpercer, exactement la même douleur que je ressens à chaque fois que j’essaye de cacher quelque chose à ma mère, et c’est de plus en plus douloureux et aigu depuis quelques mois.


Je pense souvent que ma mère sait tout à propos de mes mensonges mais qu’elle ne le dit pas. Chaque fois qu’elle me fixe avec ce regard suspicieux, cette impression qu’elle sait tout sur moi revient au galop. C’est comme si j’étais transparent devant elle, on dirait qu’elle lit en moi comme dans un livre ouvert. Elle finit par m’énerver au possible ! À chaque regard… je la déteste – mais on n’a pas le droit de penser comme cela au sujet de sa mère !


Et cet imbécile de frère, je lui avais pourtant bien dit que PERSONNE ne devait rien apprendre de nos jeux d’inventions. Je lui avais fait jurer sur la tête de son grand frère (moi) qu’il ne dirait jamais rien de nos combines et que si jamais un seul mot sortait de sa bouche à propos de notre secret, il subirait une punition atroce, telle qu’il ne pourrait sans doute plus prononcer un autre mot de toute sa vie !


Ma mère, en me regardant de la même foutue façon, me dit  :


– Prends ton vingt dollars et va t’acheter ton chocolat et tes chips tout seul. Ne fais plus acheter tes cochonneries par ton petit frère, je ne veux pas l’habituer à cette fausse bouffe artificielle remplie de sucre et de merde !


Je pris le vingt dollars et lançai à mon frère un regard subliminal absolument foudroyant du genre : tu NE dis pas un seul mot à maman, sinon t’es mort ! Il resta immobile pendant quelques secondes dans une torpeur qui me rassurait grandement. Ouf ! Mon contrôle sur lui avait encore la même emprise, et j’en étais fier comme un amiral !


  1. – Tu peux aller chercher tes trucs tout de suite pendant que je parle à ton petit frère. Vas-y tout de suite !


  2. – Oui, oui m’man, j'y vais tout de suite.


  3. En passant devant mon frère, je fis semblant de lui mettre la main amicalement sur l'épaule, mais en réalité je lui enfonçai mes ongles à l’arrière de l'épaule, sans trop lui faire mal tout de même, pour qu'il ne lâche pas un cri d’agonie qui eût éveillé les soupçons, et tout en le fixant au fond des yeux du même regard hypnotisant accompagné du même message : « Tu dis pas un mot à maman sinon t’es mort ! » Du coup, mon regard se transféra sur ma mère pour voir dans ses yeux quelle serait la prochaine question qu'elle poserait à mon Sam. Il devait à tout prix garder le silence, sinon... !


  4. Je revins avec mes chips et mon DVD (je n’avais pas acheté de chocolat, pour que ma mère soit fière de moi). La porte de la chambre de mon frère cadet était fermée et de sa cuisine, ma mère me cria :


– Ti-Paul ! Viens ici tout de suite, je veux te parler deux minutes.

 

Ça y est, mon crétin de frère m'a trahi et je suis foutu ! Il va me payer ça un jour ou l'autre. Il va me le payer ! Arrivé devant elle, n'osant presque plus la regarder dans les yeux, je l’entendis me dire :


  1. – J’ai demandé à ton frère de nettoyer toute sa chambre et je te demande la même chose à toi aussi ; il faut que cela soit fait avant le souper, as-tu bien compris ?


  2. – Ouiii mamannn, ça sera fait avant le souper, je te le promets.


  3. Je retournai dans ma chambre, quasiment heureux d’y faire le ménage, comblé, prêt pour ma deuxième invention. Allons-y... 

 

Humm ! 475 beaux dollars ! Pour quelques minutes de travail bien fait, ça en vaut la peine. Comment peut-on être plus ridicule, une tétine ergonomique ?  Bon alors, quelle sera la prochaine invention que je créerai ?


Et à quel rythme pourrai-je les vendre à ce monsieur du coin de la rue, c'est sûr qu'il doit me donner plus la prochaine fois, car je ne tiens pas du tout à me faire exploiter, ça c'est certain, et surtout pas parce que je suis jeune ou parce que je n'ai pas le droit de gagner de l'argent si je ne le déclare pas aux impôts. Mon père justement, quand il fait ses impôts et qu’il parle tout seul, répète souvent le dicton :


« Moins on en dit aux impôts, mieux c'est pour tout le monde », et moi je dis pareil. Les impôts n'ont pas besoin de savoir que je gagne des dollars pour mes inventions, c'est plutôt évident pour moi et mon frère, et on le déclarera après nos dix-huit ans. Et peut-être bien que je pourrais devenir millionnaire avant mes dix-huit ans... avec ses inventions à la con !


Bon ! Bon ! Bon ! En tant que responsable des créations ou plutôt, investigateur des inventions, je me dois de mettre un peu d’ordre dans mes pensées et de ne pas me laisser dévier du BUT : Le Million ! Plus je concentre mon attention sur mon but, plus je me rapproche du million ! Le Million ! Le million ! Je suis millionnaire... Je le suis maintenant ! Je le sens déjà en moi, toutes mes cellules… toutes mes tripes le sentent et le savent… Je suis MILLIONNAIRE !

 

– Salut Sam, comment ça va aujourd'hui ?


Avec une telle approche, qui aurait pensé que cette question cachait des sous-entendus ou des mauvaises intentions ?


  1. – Pourquoi tu me demandes ça ? C’est plutôt inhabituel !


  1. – Eh bien, aujourd’hui est une journée différente, j'ai décidé de m'intéresser à mon petit frère que j'adore.


  2. Et il osa me rétorquer :


  3. – Bizarre... J'ai l'impression que tu as quelque chose à me demander ? Ai-je raison ?


  4. – Non, non, plutôt oui... oui justement en passant puisque tu insistes sur le fait que je te demande quelque chose, oui j'en profite pour te rappeler les vingt-cinq dollars que je t’ai payés pour ton truc de tétine que tu as rafistolée l'autre jour... Tu te souviens, hein ?


   – Oui, très bien... je sais. Qu'est ce que tu veux ?


  1. – Je veux que tu me bricoles un autre machin-truc comme la dernière fois, mais un peu plus gros et un peu plus utile, comme si tu voulais avoir un meilleur confort ou un plus grand plaisir dans ta vie. Qu'est-ce que tu manigancerais, dis-moi ?


– Oui, je comprends, j'ai une idée là-dessus depuis quelque temps justement, et je pourrai te préparer ça bientôt, mais j'ai besoin d'outils et de matériaux pour le faire.


Il se précipita vers sa chambre en marmonnant ces derniers mots :


– Je cours dans ma chambre pour te faire la liste et je te la remets tout de suite, et quand tu me les fourniras, je te le ferai !


Il entra dans sa chambre et deux minutes plus tard le papier promis se fripait au cœur de son poing fermé !


– Je l'ai, c'est fait ! À ton tour de jouer !


Un beau papier tout fripé avec plein d’éléments dessus. Comme si ça faisait partie de mon contrat. Il sait très bien que c'est à lui de trouver tout ce matériel ; autant fournir un assistant à un menuisier pour qu'il tienne son marteau. Je le paye déjà assez cher, il pourrait faire sa part ! En tout cas… je le ferai pour cette fois-ci, mais pour les autres fois, ça ne marchera pas comme ça. Un jour il va payer le p’tit crisse6 !


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Liste :

 

-- petite scie à métal

-- colle à bois

-- bâtonnet de bois (pour café)

-- exacto (couteau de menuisier tranchant)

-- corde blanche

-- attache-feuille (métal)

-- papier d'aluminium

-- une demi-livre de sucre brun

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Du sucre brun ? Le génie frôle la folie « qu'on dit »...


– Voici Sam, le tour est joué de ma part ! dis-je au retour de mes emplettes en lui remettant le tout dans un gros sac en plastique blanc. Il le prit et s'empressa de retourner dans son « laboratoire », sa chère chambre. Et les minutes qui suivirent m'apparurent comme des siècles. Étonnant comme le temps peut devenir long puis court et très long puis très court ! Et si je pouvais un jour lui faire inventer une foutue machine à contrôler le temps ?


Quarante-cinq interminables minutes s’écoulèrent, et finalement mon petit bout de chou de frère sortit d’un air triomphant, tenant le sac blanc dans sa main gauche, un cahier dans sa main droite et son corps enroulé dans sa doudou – petite couverture de bébé qu’il garde sur lui comme un fétiche et qui le maintient dans un perpétuel état infantile. Je la déteste !


Alors « César » drapé dans sa toge arriva devant moi et me dit  :


  1. – Tu vas adorer ça et ça va être plus utile encore et plus gros que la dernière fois ! (Avec son sourire fendu jusqu’aux oreilles). Je l’ai nommé « Press Fit Toys » et j’ai même ajouté une section pour la vente ou la commercialisation à la fin, qui s’intitule « PFT »,  je t’en reparlerai plus tard.


  2. Le jeu du siècle ! Tu vas voir qu’avec un seul kit tu peux faire 101 jeux différents… ils sont tous très sûrs et solides – même un adulte peut les utiliser sans danger. Ce qui est le plus merveilleux : en cinq minutes ils sont créés, et en cinq minutes ils sont démantelés ! Je dois te dire le slogan de ma campagne de publicité : « Même un adulte peut le faire », dit par un enfant de sept ans en train d’ouvrir le Press Fit Toys, avec ses parents en fond de scène se grattant la tête d’un air perplexe. Regarde je vais te montrer…


Et en deux temps trois mouvements, il avait monté une balançoire reliée à une glissade (toboggan en France) avec un escalier en angle et quelques secondes plus tard il avait tout changé en un parc à sable juxtaposé à une table de pique-nique grandeur enfant !


  1. – STOP ! lui dis-je, d’un ton un peu trop agressif, à en juger par son regard presque haineux. Je n’ai même pas le temps de les voir faire et défaire, laisse-moi le temps...


Ne t’en fais pas mon frère, j’ai filmé les 101 jeux différents quand je les ai faits et défaits. Tu vois aussi au début de chaque démo, l’ensemble de toutes les pièces nécessaires à la création du prochain jeu. J’ai aussi nommé chaque jeu par une petite phrase descriptive : « Je crée le vent », c’est le nom de ma balançoire et tous mes jeux ont un nom semblable à celui-ci !


Enivré dans ses mots, il faillit léviter de quelques pouces – un pouce fait environ deux centimètres et demi, pour mes cousins français – tant il semblait léger, heureux et grand. C’est comme s’il pouvait rentrer en moi, tellement il occupait de  la place ; prenez ces derniers mots pour une hallucination plutôt que la réalité !


Je fis semblant d’avoir compris ses explications et je lui arrachai hâtivement, mais pas trop brusquement – espérai-je – le sac et le cahier qui allaient faire de moi un millionnaire ! J’en étais SÛR ! Il cria fort après moi pendant que je m’enfuyais comme un voleur ! (Mais cessez donc de penser tout haut cher lecteur), je disais donc, pendant que je m’enfuyais et bien sûr il essayait de me dévier de mon but… Ha ! Ha ! Ha ! Jamais il ne m’arrêterait !


– Mon frère, tu as laissé tomber le DVD !


Comme une baguette magique, ce mot « DVD » me stoppa net fret sec ! comme disent les Canadiens. J’avais les yeux presque sortis de la tête tellement l’enthousiasme me sortait par les oreilles, mais en me retournant vers mon frérot, je ne laissai rien paraître de cet enthousiasme et je lui dis d’un air digne et posé :


– Tu es bien aimable mon frère, je t’apprécie vraiment.


Avec un grand sourire qui se voulait authentique mais qui me contractait les muscles des pommettes tellement elles manquaient d’entraînement dans ce genre de situation !


– Merci beaucoup et passe une très bonne journée, lui dis-je en me retournant plus lentement ce coup-ci, pour sembler un peu plus intelligent et pour qu’il puisse continuer de me trouver important à ses yeux.


Je vis son regard interrogateur, sans doute se posait-il des questions au sujet de mon attitude et de mon comportement, mais ça, ce n’était pas son problème !


Sans me retourner je poursuivis calmement jusqu’à la porte extérieure, je l’ouvris avec un geste empreint de sagesse, je descendis les marches tel un pro du business avec sa démarche désinvolte, et une fois arrivé en bas de l’escalier, là où son regard ne pouvait plus m’épier ni me réactiver cette pointe de couteau pénétrante dans l’estomac – comme s’il m’accusait de quelque chose dont je n’étais pas responsable, je me mis à courir de toutes mes forces en direction du petit boisé tout près de notre voisin ingénieur, que j’aime tant. Je m’engouffrai sous les grandes branches basses d’un sapin formant en réalité une cachette formidable et discrète de style igloo. Même mon frère ne s’y aventurait jamais, et cela, depuis que je lui avais fait tellement peur avec de « vraies » voix de fantôme, qu’il n’a plus jamais voulu s’en approcher à moins de vingt-cinq pieds (huit mètres). Quelle jouissance ce fut là !


À l’abri sous le sapin, je me ressaisis et me concentrai. Je pris mon courage à deux mains pour tenter de comprendre ces plans et ces écritures qui étaient remplis de termes bizarres et de symboles ; mais j’avais la tête vide après avoir lu deux pages de cette recette magique incompréhensible. Déjà en bas de cette deuxième page, rien… évaporation totale, je ne me rappelais déjà plus rien de ce texte que je venais juste de lire ! Tout comme en sciences physiques, la même réaction…


Revenons à mon but : je suis millionnaire ! Quant à la stratégie pour présenter ma brillante invention, je dois la préparer dès maintenant, je dois concevoir mon plan sans lire tout ce charabia que, de toute façon, personne ne comprendra, puisque je n’y ai rien compris moi-même.


La stratégie est simple : « Je reproduis à la lettre ce qui a marché la dernière fois et ça va réussir à nouveau. » C’est la première phrase que mon frère m’avait écrite en haut de la première page, et que j’avais bien comprise, car pensai-je, j’ai toujours appliqué ça dans ma vie, et de toute façon, tout le monde le sait !


Dès l’instant où j’en revenais aux bons vieux principes, la conduite à suivre m’apparaissait clairement. Apaisé et confiant, je sortis de ma cachette et je me dirigeai vers la maison. Arrivé chez nous, après avoir mis le sac et le cahier en lieu sûr dans ma chambre – dans le tiroir sous le lit, tout au fond, derrière les livres et les classeurs scolaires –, j’allai droit au téléphone et appelai sur le champ le monsieur qui allait me rendre riche !


– Monsieur Fernand s’il vous plaît, et… ma s… de mère cria d’une voix forte qui me fit sursauter et me vrilla le cerveau :


à qui parles-tu comme ça ?


Haaaa non, pas encore elle ! Toujours au mauvais moment… elle n’en manque pas une ! Je la vois debout enterrée, la tête sortie du sable dans le désert à la fin de la journée alors que le soleil l’a chauffée comme un œuf dur et qu’elle attend la fraîcheur de la nuit comme une libération. Les fourmis rouges accourent par milliers de tous côtés en rangées et s’approchent d’elle et lui grimpent dessus puis…


...


Chapitre 4 – Des livres sexy



Je vais vous dire toute la vérité sur moi et Sam !


...

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Chapitre 2 – Press Fit Toys5



Ma mère, après que Sam ait laissé échapper un billet de vingt dollars de sa poche, commençait à suspecter une fraude ou un mauvais tour de sa part, ou de la mienne.


...


Et cet imbécile de frère, je lui avais pourtant bien dit que PERSONNE ne devait rien apprendre de nos jeux d’inventions. Je lui avais fait jurer sur la tête de son grand frère (moi) qu’il ne dirait jamais rien de nos combines et que si jamais un seul mot sortait de sa bouche à propos de notre secret, il subirait une punition atroce, telle qu’il ne pourrait sans doute plus prononcer un autre mot de toute sa vie !


Ma mère, en me regardant de la même foutue façon, me dit  :


– Prends ton vingt dollars et va t’acheter ton chocolat et tes chips tout seul. Ne fais plus acheter tes cochonneries par ton petit frère, je ne veux pas l’habituer à cette fausse bouffe artificielle remplie de sucre et de merde !


Je pris le vingt dollars et lançai à mon frère un regard subliminal absolument foudroyant du genre : tu NE dis pas un seul mot à maman, sinon t’es mort ! Il resta immobile pendant quelques secondes dans une torpeur qui me rassurait grandement. Ouf ! Mon contrôle sur lui avait encore la même emprise, et j’en étais fier comme un amiral !


  1. – Tu peux aller chercher tes trucs tout de suite pendant que je parle à ton petit frère. Vas-y tout de suite !


  2. – Oui, oui m’man, j'y vais tout de suite.


  3. En passant devant mon frère, je fis semblant de lui mettre la main amicalement sur l'épaule, mais en réalité je lui enfonçai mes ongles à l’arrière de l'épaule, sans trop lui faire mal tout de même, pour qu'il ne lâche pas un cri d’agonie qui eût éveillé les soupçons, et tout en le fixant au fond des yeux du même regard hypnotisant accompagné du même message : « Tu dis pas un mot à maman sinon t’es mort ! » Du coup, mon regard se transféra sur ma mère pour voir dans ses yeux quelle serait la prochaine question qu'elle poserait à mon Sam. Il devait à tout prix garder le silence, sinon... !


  4. Je revins avec mes chips et mon DVD (je n’avais pas acheté de chocolat, pour que ma mère soit fière de moi). La porte de la chambre de mon frère cadet était fermée et de sa cuisine, ma mère me cria :


– Ti-Paul ! Viens ici tout de suite, je veux te parler deux minutes.

 

Ça y est, mon crétin de frère m'a trahi et je suis foutu ! Il va me payer ça un jour ou l'autre. Il va me le payer ! Arrivé devant elle, n'osant presque plus la regarder dans les yeux, je l’entendis me dire :


  1. – J’ai demandé à ton frère de nettoyer toute sa chambre et je te demande la même chose à toi aussi ; il faut que cela soit fait avant le souper, as-tu bien compris ?


  2. – Ouiii mamannn, ça sera fait avant le souper, je te le promets.


  3. Je retournai dans ma chambre, quasiment heureux d’y faire le ménage, comblé, prêt pour ma deuxième invention. Allons-y... 

 

  1. ...



   – Oui, très bien... je sais. Qu'est ce que tu veux ?


  1. – Je veux que tu me bricoles un autre machin-truc comme la dernière fois, mais un peu plus gros et un peu plus utile, comme si tu voulais avoir un meilleur confort ou un plus grand plaisir dans ta vie. Qu'est-ce que tu manigancerais, dis-moi ?


– Oui, je comprends, j'ai une idée là-dessus depuis quelque temps justement, et je pourrai te préparer ça bientôt, mais j'ai besoin d'outils et de matériaux pour le faire.


Il se précipita vers sa chambre en marmonnant ces derniers mots :


– Je cours dans ma chambre pour te faire la liste et je te la remets tout de suite, et quand tu me les fourniras, je te le ferai !


Il entra dans sa chambre et deux minutes plus tard le papier promis se fripait au cœur de son poing fermé !


– Je l'ai, c'est fait ! À ton tour de jouer !


Un beau papier tout fripé avec plein d’éléments dessus. Comme si ça faisait partie de mon contrat. Il sait très bien que c'est à lui de trouver tout ce matériel ; autant fournir un assistant à un menuisier pour qu'il tienne son marteau. Je le paye déjà assez cher, il pourrait faire sa part ! En tout cas… je le ferai pour cette fois-ci, mais pour les autres fois, ça ne marchera pas comme ça. Un jour il va payer le p’tit crisse6 !


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Liste :

 

-- petite scie à métal

-- colle à bois

-- bâtonnet de bois (pour café)

-- exacto (couteau de menuisier tranchant)

-- corde blanche

-- attache-feuille (métal)

-- papier d'aluminium

-- une demi-livre de sucre brun

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Du sucre brun ? Le génie frôle la folie « qu'on dit »...


– Voici Sam, le tour est joué de ma part ! dis-je au retour de mes emplettes en lui remettant le tout dans un gros sac en plastique blanc. Il le prit et s'empressa de retourner dans son « laboratoire », sa chère chambre. Et les minutes qui suivirent m'apparurent comme des siècles. Étonnant comme le temps peut devenir long puis court et très long puis très court ! Et si je pouvais un jour lui faire inventer une foutue machine à contrôler le temps ?


Quarante-cinq interminables minutes s’écoulèrent, et finalement mon petit bout de chou de frère sortit d’un air triomphant, tenant le sac blanc dans sa main gauche, un cahier dans sa main droite et son corps enroulé dans sa doudou – petite couverture de bébé qu’il garde sur lui comme un fétiche et qui le maintient dans un perpétuel état infantile. Je la déteste !


Alors « César » drapé dans sa toge arriva devant moi et me dit  :


  1. – Tu vas adorer ça et ça va être plus utile encore et plus gros que la dernière fois ! (Avec son sourire fendu jusqu’aux oreilles). Je l’ai nommé « Press Fit Toys » et j’ai même ajouté une section pour la vente ou la commercialisation à la fin, qui s’intitule « PFT »,  je t’en reparlerai plus tard.


  2. Le jeu du siècle ! Tu vas voir qu’avec un seul kit tu peux faire 101 jeux différents… ils sont tous très sûrs et solides – même un adulte peut les utiliser sans danger. Ce qui est le plus merveilleux : en cinq minutes ils sont créés, et en cinq minutes ils sont démantelés ! Je dois te dire le slogan de ma campagne de publicité : « Même un adulte peut le faire », dit par un enfant de sept ans en train d’ouvrir le Press Fit Toys, avec ses parents en fond de scène se grattant la tête d’un air perplexe. Regarde je vais te montrer…


Et en deux temps trois mouvements, il avait monté une balançoire reliée à une glissade (toboggan en France) avec un escalier en angle et quelques secondes plus tard il avait tout changé en un parc à sable juxtaposé à une table de pique-nique grandeur enfant !


  1. – STOP ! lui dis-je, d’un ton un peu trop agressif, à en juger par son regard presque haineux. Je n’ai même pas le temps de les voir faire et défaire, laisse-moi le temps...


Ne t’en fais pas mon frère, j’ai filmé les 101 jeux différents quand je les ai faits et défaits. Tu vois aussi au début de chaque démo, l’ensemble de toutes les pièces nécessaires à la création du prochain jeu. J’ai aussi nommé chaque jeu par une petite phrase descriptive : « Je crée le vent », c’est le nom de ma balançoire et tous mes jeux ont un nom semblable à celui-ci !


Enivré dans ses mots, il faillit léviter de quelques pouces – un pouce fait environ deux centimètres et demi, pour mes cousins français – tant il semblait léger, heureux et grand. C’est comme s’il pouvait rentrer en moi, tellement il occupait de  la place ; prenez ces derniers mots pour une hallucination plutôt que la réalité !


Je fis semblant d’avoir compris ses explications et je lui arrachai hâtivement, mais pas trop brusquement – espérai-je – le sac et le cahier qui allaient faire de moi un millionnaire ! J’en étais SÛR ! Il cria fort après moi pendant que je m’enfuyais comme un voleur ! (Mais cessez donc de penser tout haut cher lecteur), je disais donc, pendant que je m’enfuyais et bien sûr il essayait de me dévier de mon but… Ha ! Ha ! Ha ! Jamais il ne m’arrêterait !


– Mon frère, tu as laissé tomber le DVD !


Comme une baguette magique, ce mot « DVD » me stoppa net fret sec ! comme disent les Canadiens. J’avais les yeux presque sortis de la tête tellement l’enthousiasme me sortait par les oreilles, mais en me retournant vers mon frérot, je ne laissai rien paraître de cet enthousiasme et je lui dis d’un air digne et posé :


– Tu es bien aimable mon frère, je t’apprécie vraiment.


Avec un grand sourire qui se voulait authentique mais qui me contractait les muscles des pommettes tellement elles manquaient d’entraînement dans ce genre de situation !


– Merci beaucoup et passe une très bonne journée, lui dis-je en me retournant plus lentement ce coup-ci, pour sembler un peu plus intelligent et pour qu’il puisse continuer de me trouver important à ses yeux.


Je vis son regard interrogateur, sans doute se posait-il des questions au sujet de mon attitude et de mon comportement, mais ça, ce n’était pas son problème !


Sans me retourner je poursuivis calmement jusqu’à la porte extérieure, je l’ouvris avec un geste empreint de sagesse, je descendis les marches tel un pro du business avec sa démarche désinvolte, et une fois arrivé en bas de l’escalier, là où son regard ne pouvait plus m’épier ni me réactiver cette pointe de couteau pénétrante dans l’estomac – comme s’il m’accusait de quelque chose dont je n’étais pas responsable, je me mis à courir de toutes mes forces en direction du petit boisé tout près de notre voisin ingénieur, que j’aime tant. Je m’engouffrai sous les grandes branches basses d’un sapin formant en réalité une cachette formidable et discrète de style igloo. Même mon frère ne s’y aventurait jamais, et cela, depuis que je lui avais fait tellement peur avec de « vraies » voix de fantôme, qu’il n’a plus jamais voulu s’en approcher à moins de vingt-cinq pieds (huit mètres). Quelle jouissance ce fut là !


À l’abri sous le sapin, je me ressaisis et me concentrai. Je pris mon courage à deux mains pour tenter de comprendre ces plans et ces écritures qui étaient remplis de termes bizarres et de symboles ; mais j’avais la tête vide après avoir lu deux pages de cette recette magique incompréhensible. Déjà en bas de cette deuxième page, rien… évaporation totale, je ne me rappelais déjà plus rien de ce texte que je venais juste de lire ! Tout comme en sciences physiques, la même réaction…


Revenons à mon but : je suis millionnaire ! Quant à la stratégie pour présenter ma brillante invention, je dois la préparer dès maintenant, je dois concevoir mon plan sans lire tout ce charabia que, de toute façon, personne ne comprendra, puisque je n’y ai rien compris moi-même.


La stratégie est simple : « Je reproduis à la lettre ce qui a marché la dernière fois et ça va réussir à nouveau. » C’est la première phrase que mon frère m’avait écrite en haut de la première page, et que j’avais bien comprise, car pensai-je, j’ai toujours appliqué ça dans ma vie, et de toute façon, tout le monde le sait !


Dès l’instant où j’en revenais aux bons vieux principes, la conduite à suivre m’apparaissait clairement. Apaisé et confiant, je sortis de ma cachette et je me dirigeai vers la maison. Arrivé chez nous, après avoir mis le sac et le cahier en lieu sûr dans ma chambre – dans le tiroir sous le lit, tout au fond, derrière les livres et les classeurs scolaires –, j’allai droit au téléphone et appelai sur le champ le monsieur qui allait me rendre riche !


– Monsieur Fernand s’il vous plaît, et… ma s… de mère cria d’une voix forte qui me fit sursauter et me vrilla le cerveau :


à qui parles-tu comme ça ?


Haaaa non, pas encore elle ! Toujours au mauvais moment… elle n’en manque pas une ! Je la vois debout enterrée, la tête sortie du sable dans le désert à la fin de la journée alors que le soleil l’a chauffée comme un œuf dur et qu’elle attend la fraîcheur de la nuit comme une libération. Les fourmis rouges accourent par milliers de tous côtés en rangées et s’approchent d’elle et lui grimpent dessus puis…


  1. – Oui, merci… Oui, je comprends… Oui, je le rappellerai plus tard, ce soir ou demain, merci et bonne journée Madame Fernand.


  2. Ouf ! J’avais raccroché avant que cette empêcheuse de tourner en rond n’arrive près de moi.


à qui parlais-tu au téléphone Ti-Paul ?


Toute sa tête enduite d’une épaisse couche de grosses fourmis grouillant et…


  1. – Personne maman, c’est personne. Je pratique juste pour mon cours de théâtre ; je dois dire mon texte à haute voix, je ne parlais pas réellement au téléphone, je pratique mon rôle du garçon qui parle à son ami au téléphone et voilà pourquoi je fais ça tu vois ? Tu me crois ?


– Bien sûr Ti-Paul, viens essuyer la vaisselle avec ta maman, j’ai des choses à te     dire.


Subir ce que je subis. Personne n’a jamais été super-contrôlé comme moi, toute ma vie, elle est toujours sur mon dos, et quand elle n’essaye pas de me contrôler physiquement, elle continue à le faire dans mes pensées, ça n’arrête jamais. Elle abuse de son pouvoir de mère et je ne ferais jamais subir ça à personne. Je ne fais jamais aux autres ce que je ne voudrais pas qu’ils me fassent… enfin, la plupart du temps.


– Viens t’asseoir avec maman, j’ai des choses à te dire.


– Oui, c’est quuoooiii ?


...



  1. – Merci encore ma bonne maman, répétai-je et je me mis sur le mode départ rapido presto…


  2. Il y a plusieurs mots comme ceux-là dont je me sers pour manipuler ma mère et ça fonctionne toujours ou presque, mais je n’en abuse jamais. Enfin, j’ai pu me libérer de ma mère et retourner dans ma chambre.


Je m’assis sur le lit pour réfléchir et faire le bilan de la situation. Madame Fernand avait bien dû parler à son mari de mon mystérieux appel avorté, et il devait être bien intrigué, peut-être même impatient de me rappeler, oui impatient car il savait qu’il y avait gros à gagner avec moi. Hé hé, il n’est pas fou ce monsieur-là… il va me rappeler d’un moment à l’autre. Mais les minutes s’étiraient en longueur, se muaient en siècles.


Le temps devient tellement long quand j’attends en vain. L’intensité de l’ennui insoutenable amollit mes intentions, rend mes muscles atones7 dans une fausse détente monotone et soudain, sursaut dans ma tête ! Serait-ce le téléphone qui sonne juste au mauvais moment, au plus profond de ma rêverie mélancolique philosophique, c’est là qu’il décide de sonner et ça va me rendre fou ! Je l’entends dans ma tête, encore une illusion, et je commence à croire qu’il sonne réellement.


Allons, je vais faire autre chose et je ne penserai plus au million, et il va m’appeler à ce moment-là… Ah oui mes devoirs, la physique ! Mais à peine ai-je regardé mon livre que le mal de crâne me reprend. Alors, qui va dire que c’est bon l’éducation moderne ? C’est de la merde et ça vous donne mal à la tête en plus ! Prenez mon petit frère par exemple, il n’a pas encore enduré tous ces cours et voilà ce qu’il sait faire ! Peut-être qu’après les avoir tous suivis il deviendra incapable d’inventer quoi que ce soit. J’eus un ricanement intérieur à cette pensée mais il se changea rapidement en une angoisse qui accentua mon mal de crâne ! Et pourquoi donc mes parents me forcent-ils à aller à l’école ? C’est pire que de l’esclavage ; ils vont payer pour ça un jour.


Ça sonne ! Pour de vrai cette fois-ci ! Oui, c’est mon million qui m’appelle !


– Ti-Paul ! C’est pour toi ! Monsieur Fernand au téléphone.


  1. – Oui maman, j’arrive.


Je marchai lentement, tout en courant intérieurement. Je pris le téléphone d’un air nonchalant, en m’efforçant de ralentir le mouvement de mon bras.


– Oui, Monsieur Fernand, que puis-je faire pour vous ?


– Non, pas maintenant mais dans dix minutes j’y serai, d’accord… OK… Oui, je vous vois dans dix minutes, à bientôt, bonjour, oui, bonjour… C’est BON ! C’est dans le sac ! 


  1. – De quel sac parles-tu Ti-Paul ?


  2. – Non maman, c’est ma pratique de théâtre qui continue, c’est dans le sac, c’est dans le sac. Je dois sortir quelques minutes, maman, je serai de retour pour souper.


Je sortis promptement et une fois dans la rue, je me forçai, là encore, à marcher d’un pas lent et posé, d’une part pour ne pas m’essouffler, d’autre part pour avoir le temps de rejouer en esprit la scène de la dernière fois. Enfin arrivé à la maison de l’ingénieur, je sonnai à sa porte et il m’ouvrit instantanément, comme s’il m’attendait de l’autre côté… pour sûr, il devait être très intéressé par notre prochaine affaire.


– Viens t’asseoir Ti-Paul, veux-tu un verre de jus ?


Ha ! Ha ! Il utilise des techniques de vente ! Je le vois venir, et pourquoi Ti-Paul ? À douze ans on n’est plus Ti-Paul, on est PAUL ! Mais revenons à notre propos sur le but…


– Oui, avec plaisir. J’ai développé un nouveau concept d’avant-garde vous verrez, il contient un kit très spécial qui fera sourire les parents et rire les enfants comme jamais ! J’ai fait un montage DVD amateur tout simple qui vous guidera dans l’aventure de PFT qui est mon idée de commercialisation pour parents/enfants. Press Fit Toys en est le nom complet, ou en français ce qui est un peu moins vendeur : « Jouets emboîtés par pression ». Voici la maquette du modèle réduit ainsi que toutes les instructions pour vos experts en laboratoire ! Vous y découvrirez 101 possibilités de jouets différents qui peuvent être créés et défaits en cinq minutes comme vous allez le voir « live » sur le DVD.


Il en salivait presque, tellement il voulait voir le produit.


– Regardons ça d’un peu plus près, dit-il, et il inséra le DVD dans son système de télé maison, style écran de soixante-douze pouces avec console de son et image, un équipement pour une salle de 200 personnes !


– Oui bien sûr, répondis-je en jouant l’homme d’affaire sûr de lui et confiant dans l’issue… dans la vente, quoi !


Les lumières s’éteignirent graduellement, le son et l’image apparurent comme dans un vrai cinéma, mais moi je ne laissai rien transparaître de mon étonnement admiratif…


 – Allons-y, lui dis-je. Il regarda les dix premières minutes et semblait manger l’écran ! La vente était conclue… et il ajouta :


 – Génial, tu es génial, un vrai génie !


J’appréciais qu’il sût voir à qui il avait affaire et qui j’étais vraiment, tout en m’évertuant à réprimer l’image de mon frérot qui refaisait surface dès qu’il me gratifiait de ses éloges. Bien conscient que mon frère m’avait aidé dans cet accomplissement, je n’en restais pas moins le vrai créateur et génie de cette invention qui me propulserait au statut de Millionnaire !


Il prit le sac blanc, le DVD et le cahier et me demanda s’il pouvait partir à son bureau immédiatement ? J’acquiesçai et il bondit vers la porte et sa belle Mercédès noire était déjà dans la rue en train d’arracher l’asphalte. Le verre à la main, le nez à la vitre de la porte, sa femme me regarda et dit :


– Ne t’en fais pas, il n’était pas fâché, il est juste parti au bureau car je crois qu’il était en retard.


– En retard, mon œil ! Il était complètement en transe et ne touchait plus terre… c’est plutôt ça la réalité, mais elle n’a pas besoin de comprendre, ce NE SONT PAS SES AFFAIRES !


– Bonjour Madame Fernand, on se voit bientôt. Bonne journée !


...


Chapitre 4 – Des livres sexy



Je vais vous dire toute la vérité sur moi et Sam !

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